Quel avenir pour Notre-Dame ?

 

Le 9 mars dernier, alors qu’un panel d’experts internationaux qui devait se réunir au Centre Culturel a été annulé pour protéger l’école du Covid-19, Pascale Richard, directrice du Centre culturel du Lycée, a pu organiser des entretiens filmés avec Pierre-Antoine Gatier, Architecte en chef des monuments historiques  et Michel Picaud, Président des Amis de Notre-Dame de Paris, venus tout spécialement de France pour cet événement. De retour en France, tous les deux ont accepté de continuer le dialogue en donnant les dernières nouvelles sur Notre-Dame. Nous leur sommes reconnaissants de leur engagement et heureux de partager ces deux interviews et une présentation annotée qui aurait dû être présentée au public. 

Il y a un an le toit et la flèche de Notre-Dame de Paris étaient dévastés par le feu. Depuis, le monde a confirmé la place de choix que la cathédrale occupait dans la définition de nos identité culturelles et religieuses alors que l’on commençait à réfléchir à la façon de restaurer et de reconstruire la cathédrale. Personne n’aurait pu s’attendre aux perturbations créées par la pandémie actuelle, et ce qu’elle révèle de la fragilité humaine. Pourtant, aujourd’hui la priorité donnée à la sécurité humaine entraînant la suspension des travaux de restauration met en évidence l’interdépendance de la cathédrale avec les écosystèmes passés et présents. Particulièrement en ce moment, Notre-Dame reste un lieu d’innovation et de modernité, symbole d’espoir, d’identité et de créativité.

Ainsi la pollution au plomb du toit a inspiré de nouvelles méthodes et ressources pour éliminer le plomb et d’autres produits toxiques pour protéger les travailleurs tout en assurant la continuité historique. Grâce à la négociation d’un partenariat public-privé, la restauration de Notre-Dame est aussi devenue un catalyseur pour faire avancer la philanthropie française. Enfin, la dimension émotionnelle du travail couplée à l’énorme budget est un défi en soi. Comme l’explique Michel Picaud, « le budget global de reconstruction n’est pas encore connu. Il pourrait dépasser la barre du milliard de dollars lorsqu’il sera complété par une dotation pour l’entretien de la cathédrale après la reconstruction.” Les Américains ont toujours joué un rôle crucial dans le financement des reconstructions d’après-guerre de sites français d’importance, là où les mécènes français ont été moins ouverts et les secteurs public et privé en France n’ont pas toujours tenu leurs promesses : seulement 150 millions d’euros ont été reçus à ce jour dont dix provenant de l’association à but non lucratif des Friends of Notre-Dame de Paris. 

Le débat sur Notre-Dame accroît la sensibilisation du public sur la place des bâtiments historiques dans l’architecture d’aujourd’hui. Beaucoup se demandent sous quelle forme le futur toit et la flèche devraient être construits et se souviennent de la controverse sur la pyramide du Louvre.  Là où le président Emmanuel Macron a appelé à plusieurs reprises à un design innovant et moderne, la communauté de donateurs réunie par Michel Picaud souhaite voir la cathédrale restaurée dans l’état où elle se trouvait le matin du 15 avril 2019, et aime le toit et la flèche tels qu’ils étaient. De mon coté, j’ajouterais que la plupart des historiens et des spécialistes appellent à la préservation de la flèche comme partie intégrante du bâtiment et du travail du grand restaurateur et rationaliste du XIXe siècle, Eugène-Emmanuel Viollet-le-Duc. La restauration de ce bâtiment (1843-1864) fut le chef-d’œuvre de celui qui fut aussi le Chef du Bureau des monuments historiques, institution chargée en France de la préservation historique. Aujourd’hui, ce vénérable corps professionnel adhère aux principes actuels de l’ICOMOS tels que la Charte de Venise de 1964 qui prescrit de restaurer au plus près du dernier état connu en utilisant des techniques traditionnelles.   

L’architecte en chef, Pierre-Antoine Gatier cite pour sa part les raisons techniques qui obligeraient à se méfier avant d’avancer dans la reconstruction du toit et de la flèche sans attendre que le chantier n’ait progressé.  Il explique que pour Notre-Dame, les décisions doivent être prises avec soin, et seulement après un processus minutieux passant par trois étapes : 1. stabilisation, diagnostique de l’état de la structure, 2. réparation, et préservation, 3. conception et bâtiment. Même avant la pandémie, il n’avait pas été possible d’accélérer l’achèvement des différentes phases qui déterminent aussi la taille des équipes. 

Gatier pense qu’un design plus moderne s’intégrera dans le cadre du projet urbain dessiné en 2017 par l’architecte Dominique Perrault, la Mission Ile de la Cité. Ce projet prévoit de densifier, d’encadrer et d’intégrer les espaces laissés à nu par le baron Haussmann qui, dans les années 1860, avait rasé le tissu médiéval de l’île de la Cité. Ainsi la cathédrale a-t-elle joué un rôle historique dans la guérison des malades avec la contiguïté de hôpital de l’Hôtel Dieu, reconstruit et déplacé par Haussmann mais toujours symboliquement situé à côté de la cathédrale. Dans ce projet un tiers de la surface de l’Hôtel Dieu sera réutilisé comme espace commercial et résidentiel à fonctions multiples, ce qui devrait aider à ressusciter les liens distendus entre la cathédrale et le quartier, et cela tout en maintenant le rôle premier de l’Hôtel Dieu, celui de guérir les malades. 

La fermeture temporaire du site de Notre-Dame pour préserver la santé des travailleurs laisse le bâtiment au bord de l’incertitude. Comme l’explique Michel Picaud : « Il est clair que la pandémie change radicalement les choses pour le projet en ce moment. La phase de sécurisation de la cathédrale a débuté en avril 2019, juste après l’incendie. Les travaux ont été temporairement arrêtés le 16 mars 2020, alors que cette première phase devait s’achever trois mois plus tard “.  En d’autres termes, la phase de stabilisation n’est pas terminée. 

Compte tenu de la pandémie actuelle et de la crise économique qui s’ensuit, il semble peu probable que la restauration et la reconstruction soient achevées pendant le quinquennat comme le souhaitait le Président Macron.  Avant la crise, il y avait la volonté qui soutenait le plan était celle de célébrer une messe à l’intérieur de la cathédrale dans cinq ans, et cela même si la restauration n’était pas tout à fait complète. Pour nous rappeler que Notre-Dame est un monument vivant avec un passé unificateur et religieux. Aujourd’hui, Michel Picaud se contente de dire : « Reprendre les travaux sur Notre-Dame sera certainement un grand signe d’espoir au niveau mondial après la terrible crise sanitaire. »

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