Une rencontre rendue possible

 

On avait tous peur. Une résidence d’écriture virtuelle, c’était une première. Dans sa préface à l’e-book regroupant le travail des élèves, l’auteure et artiste-en-résidence Valérie Zenatti est revenue sur cet échange en présentiel empêché :

“Au commencement de ce projet, il y eut donc la promesse d’un voyage à New York et d’une résidence au Lycée Français. Je me voyais déjà levée à l’aube – décalage horaire oblige – arpenter les rues de cette ville que j’aime tant, une légère onde de trac dans la poitrine, m’apprêtant à rencontrer pour la première fois les élèves de 4ème, et me lancer avec eux dans un projet d’écriture autour de la notion de rencontre.

“La rencontre empêchée” était précisément le thème que Valérie avait brillamment imaginé pour cette résidence alors que le COVID battait son plein, en ce début de deuxième vague, au mois de novembre 2020. Ce travail s’inscrivait dans le cadre du programme d’artiste-en-résidence, crée au Lycée en 2012, et mis en place  dans différents niveaux de classes pour stimuler la créativité des enfants à tous les âges.

Valérie Zanetti, artiste en résidence, sur le thème “rencontres empêchées” de son appartement à Paris

Si Valérie a connu le trac à distance, cela n’était pas perceptible. Dès le premier zoom, elle nous a ouvert les portes de sa maison au sens propre comme au figuré. Le décor intime et sombre de sa chambre est devenu un espace presque familier pour les élèves de 4èmes et leurs professeurs de français.

Elle a aussi partagé avec générosité, l’univers, public celui-là, de son immense talent. Un univers déjà connu de la communauté du Lycée car, à l’initiative d’Isabelle Milkoff, chef du département de français, son roman “Quand j’étais soldate” figurait depuis quelques années sur la liste des lectures d’été, et Valérie, de passage à New York à l’automne 2018, avait été invitée à faire une conférence. En parallèle, le Centre Culturel avait programmé Une bouteille dans la mer de Gaza, adaptation cinématographique d’un autre de ses ouvrages.  

Son talent donc nous a sauté aux yeux lorsqu’elle a identifié, comme point de départ du travail d’écriture demandé aux élèves, le dernier ouvrage de Colum McCann, Apeirogon, “figure géométrique avec un nombre infini de côtés”. “Le roman se présente sous forme de fragments numérotés, de natures différentes qui sont autant de facettes d’une même histoire,” a expliqué Valérie, précisant que, dans le cas de l’écrivain américain, il s’agissait de 500 pages et d’une centaine de fragments. Un défi colossal lancé aux quatre classes des 4èmes qui l’ont relevé avec brio en suivant la consigne : 85 pages et 176 fragments en tous genres et toutes tailles sur cette rencontre empêchée à découvrir dans l’e-book.

 

Collaboration se faisait via Zoom entre élèves

“L’inspiration, c’est ce qu’on fait entrer chez soi, comme l’air” a dit Valérie aux élèves pour qu’ils s’envolent – cette fois au sens figuré- tous étant confinés. Ou encore : “Le livre est un espace de liberté ; l’écriture, la lecture, une envie”, disséminant ainsi des conseils pour stimuler la création.

C’était là le défi de cette résidence : être dans l’éclatement de nos vies et dans ce qui peut nous réunir, à travers le pouvoir des mots – Valérie Zanetti

Ce vent de créativité s’est engouffré chez tout un chacun, comme le montrent ces témoignages lus lors de la restitution finale le 30 novembre dernier en présence des parents invités:

“Pour écrire l’atelier, on a eu des idées aléatoires, spontanées ou réfléchies, on s’est posé des questions qui pourraient nous aider à aborder le sujet ou à mieux le comprendre. Ceci nous a permis d’écrire avec plus de fluidité et d’exprimer des émotions qu’on ne pensait pas ressentir, ” écrit cet élève en 4ème2.

 “La liberté de la forme est assez rare à l’école et ici, elle nous a permis de nous exprimer beaucoup plus facilement. L’idée de ce projet en général a été également étonnante pour la classe car le fait qu’on crée une seule histoire commune grâce à tous nos textes était inattendu. Cette nouvelle façon d’écrire a semblé intriguer beaucoup d’entre nous mais nous avons trouvé cette expérience intéressante, “ écrit cet autre, reflétant dans ces propos leur implication réelle.  

Pour écrire l’atelier, on a eu des idées aléatoires, spontanées ou réfléchies, on s’est posé des questions qui pourraient nous aider à aborder le sujet ou à mieux le comprendre. — élève de 4ème

Lettre, exposé, poésie, tract politique, argument, pièces de théâtre, journal intime, discours, notules techniques, articles de presse. Tout était permis. La liberté, on vous dit !… Mais dans un cadre précis : chaque élève écrivait deux fragments (Ils figurent tous dans le e-book), revus et augmentés de la critique de l’auteur au cours des séances de travail relayées par leurs professeurs de français : Catherine Genoux, Matthieu Cladidier, et Laurent Morival.

Laurent Natrella, comédien et sociétaire de la Comédie française, a lu des extraits des élèves pendant l’exposition finale du projet.

Le jour de la lecture finale, Valérie Zenatti avait invité le comédien Laurent Natrella, sociétaire de la Comédie Française pour lire les textes. (Il faut avouer qu’entretemps Valérie avait subi une rechute de COVID, l’obligeant à passer 24 heures aux urgences et la faisant douter de ses capacités respiratoires.) Quel honneur pour les élèves ! Et ils furent à la hauteur.

Le lendemain, les compliments ont fusé. 

Beaucoup de finesse, de drôlerie, d’authenticité… qui suscitent réflexions, émotions et qui fédèrent aussi bien les grands que les petits ! Car en fait, on s’aperçoit que nos ressentis sont similaires et cela m’a touchée de le découvrir”. –Isabelle Bichard, Dean of High School

“Les voix de nos quatrièmes, sublimées par votre lecture bienveillante, furent saisissantes, et bouleversantes de tristesse, d’humour, de sagesse, de banalité, d’espoir…”, Evelyne Estey, Chef d’établissement.

Mais on laissera à Valérie le mot de la fin : “Merci pour cette émotion partagée d’hier. Nous étions certes à distance, et séparés par des milliers de kilomètres, mais nous avons bel et bien été ensemble durant cette heure, dans les mots de vos élèves. Laurent et moi avons été frappés de constater combien le travail individuel, et parfois intime de chacun pouvait se relier à ceux des autres et former un tout. C’était là le défi de cette résidence : être dans l’éclatement de nos vies et dans ce qui peut nous réunir, à travers le pouvoir des mots“.

Ou peut-être devrait-on le laisser aux élèves avec ici un petit florilège tout à fait personnel :

3

Je m’appelle Simon et je suis né en Côte d’Ivoire dans un petit village à 50 km de Yamoussoukro. Aujourd’hui j’ai quinze ans, nous sommes en 2016 et j’habite toujours dans mon village natal. Dans ce village nous sommes une sorte de grande famille, nous habitons tous au même endroit et les enfants vont tous à la même école. Malgré notre forte connexion et notre joie de vivre quand nous sommes ensemble, je ne veux pas passer le reste de ma vie dans cet endroit perdu en pleine campagne. J’aimerais poursuivre mes rêves, partir loin, en Europe, en Amérique et en Asie. Voyager pour découvrir ces cultures incroyables comme celle du Japon. Admirer les monuments fascinants comme la Tour Eiffel ou encore l’Empire State Building. Aller regarder un match de foot professionnel en direct. Et enfin explorer les sept merveilles du monde. Mais j’ai l’impression d’être le seul à le vouloir comme si tout le monde autour de moi avait déjà perdu espoir. — Oscar 

30

 E-mail à ma grand-mère qui mange du chocolat tout le temps et qui est très drôle et gentille et amusante. Salut Mémé ! Tu me manquais trop alors j’ai acheté 2 kilos de chocolat et j’ai tout mangé. Il était très bon. –Micah 

67

Rencontre
Deux objets, voyageant au niveau des étoiles, entrent en collision. Des années qu’ils attendaient cette rencontre, depuis que leurs trajectoires étaient définies.Béatrice  

163 

Haïku
Ce confinement
Nous a chacun séparés
Malgré nos efforts —Noémie

Tous les autres fragments sont à lire sans modération dans le e-book.

Bonne lecture et bonnes rencontres !

 


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