Dans un monde mû par les échanges, l’apprentissage des langues vivantes apparaît comme un enjeu majeur. Une langue est certes un outil de communication mais, comme le souligne le linguiste Claude Hagège, elle constitue également une « manière de penser, une façon de voir le monde, une culture ». En ce sens, la langue est « l’interprétant de la société », selon la formule d’Émile Benveniste.
Ce rapport entre langue et culture est un jalon essentiel de l’enseignement des langues tel qu’il est pratiqué au Lycée. L’approche communicative de la langue, associée à l’ancrage de l’apprentissage dans l’aire culturelle concernée, apparaît comme une façon de stimuler les élèves et de les ouvrir à une autre représentation du monde, loin des stéréotypes.
Les professeurs du département conçoivent leur travail comme une manière de développer l’ouverture d’esprit et la tolérance. “There’s no limit, you can do anything”, “c’est comme une baguette magique”, selon Najma Moratti. “It’s a way to kindle the students’ interest” ajoute Susan Wei.
J’ai demandé à Bakoro, élève de 5ème3, ce qui lui plaît le plus dans la découverte de l’espagnol. Elle a évoqué le fait de parler, de comprendre et de s’intéresser à d’autres cultures. L’apprentissage de l’arabe pour Anissa, élève de 4ème2, lui offre l’opportunité d’observer les similarités et les différences entre les langues. Tess, de 3ème3, voit également une façon de mieux comprendre ses origines.
Prenons par exemple la langue allemande, parlée par plus de cent millions de locuteurs natifs; n’ouvre-t-elle pas les portes de l’univers artistique de Schubert, des écrits de Patrick Süskind ou de la philosophie d’Hannah Arendt? L’italien ne permet-il pas d’appréhender l’extraordinaire richesse d’un pays qui a vu naître Pétrarque, Michel-Ange ou Fellini, et dont les vestiges historiques et architecturaux comptent parmi les plus nombreux au monde? L’arabe, dans sa version littérale enseignée au lycée (al-fusha) ou dialectale, n’invite-t-il pas à embrasser des cultures millénaires, s’imaginer dans les ruelles de la médina de Marrakech ou dans la plus ancienne université du monde à Fès et se passionner pour le cinéma de Nadine Labaki? Que dire de la langue de Cervantès et de Pablo Neruda, reflètant l’immense diversité culturelle et patrimoniale du monde hispanique, popularisée par ses icônes de l’art, de la musique et du cinéma tels Frida Kahlo, Paco de Lucía et Pedro Almodóvar? Ne trouve-t-on pas dans l’étude du chinois, langue la plus parlée au monde, l’occasion de se plonger dans une culture de dix mille ans, d’aborder l’art d’Ai WeiWei et de découvrir la beauté des palais impériaux de Chine?
C’est à cette immersion linguistique et culturelle que sont conviés les élèves du Lycée dès la 6ème, en choisissant une deuxième langue vivante parmi l’arabe, l’italien, le mandarin, l’espagnol et l’allemand. Les enseignants mettent à profit la pédagogie de projet afin d’inciter les élèves à développer leurs compétences dans les domaines linguistiques, artistiques et technologiques par la réalisation de podcasts, d’ateliers d’écriture, d’exercices théâtraux, de montages vidéo et d’escape games, entre autres.
Au fondement de l’exploration d’une langue se trouve l’apprentissage des bases linguistiques et communicatives, auquel s’ajoute la découverte de textes littéraires, d’œuvres d’art, de traditions, de films, de musiques, ainsi que de la civilisation. Ce travail autour de la langue dans toutes ses représentations est aussi une façon d’interroger ses origines, son influence, son empreinte et son héritage. A cet égard, l’étude de l’étymologie représente une invitation au voyage dans le temps et l’espace, teinté de poésie. L’espagnol compte par exemple plus de quatre mille mots provenant de l’arabe, on les appelle les “arabismes”. Des groupes de Seconde ont été invités à les découvrir lors d’une séance en collaboration avec les élèves du professeur d’arabe, Younes Samid, et ils ont constaté à cette occasion qu’un mot véhicule son histoire et peut incarner la rencontre de cultures.
Au premier semestre, plusieurs classes ont été invitées à s’intéresser à la question d’héritage culturel et d’identité en travaillant autour de projets créatifs. Il convient de préciser que ces derniers ont fait l’objet d’expositions au sein du lycée ou de présentations sur des espaces numériques de travail. Nous en citons quelques exemples ci-dessous.
A l’occasion du “Hispanic Heritage Month”, célébré aux États-Unis entre le 15 septembre et le 15 octobre, Farida Meddah et Cécile Perruche ont proposé à leurs élèves de 4ème de promouvoir des personnalités, traditions et coutumes du monde hispanique en réalisant des posters accompagnés de QR codes. L’objectif était de permettre aux élèves de mesurer la richesse et la diversité de ces identités ainsi que leur impact sur la société américaine. En écho à cette même célébration, d’autres élèves de 4ème et mes élèves de Terminale LV3 ont recueilli les témoignages de personnes d’origine hispanique résidant aux États-Unis afin de connaître leur expérience et leur conception de l’hispanité, dans des interviews filmées ou des podcasts.
Dans le cadre du programme de Terminale et de l’axe “diversité et inclusion”, préparé en collaboration avec Najma Moratti, les élèves se sont intéressés à l’histoire et l’identité des Afro-Colombiens. Ils ont ainsi pu découvrir des initiatives prises dans d’autres pays d’Amérique latine pour reconnaître et promouvoir les afro-descendants. Cette image interactive, réalisée par Najma Moratti, synthétise ce travail collectif.
Les élèves de Première de Najma Moratti et d’Anthony Straub ont réalisé des affiches, dans le cadre d’une séquence sur les langues indigènes au Mexique, afin de faire connaître et de promouvoir des langues indigènes menacées de disparaître. La séquence portait sur le besoin de préserver les langues indigènes mexicaines, l’importance de la lecture et de l’édition, ainsi que le rôle des arts pour contribuer à les diffuser.
Anthony Straub a, par ailleurs, invité ses élèves de 5ème à découvrir la fête des morts au Mexique ou Día de muertos. Une très belle exposition illustre ce travail mêlant art et traditions.
La thématique de l’héritage et de la transmission a également été abordée lors des cours de mandarin de Susan Wei. Les élèves ont interviewé des immigrés chinois de Chine continentale et de Taiwan au sujet de leur expérience, de leurs motivations pour rejoindre les États-Unis, des difficultés rencontrées, du questionnement sur l’identité et l’intégration.
Ce relevé non-exhaustif illustre la dynamique choisie par le département de langues pour impliquer les élèves dans leur apprentissage tout en les sensibilisant à des questions essentielles telles que la transmission et l’identité. D’autres projets sont en cours et nous en ferons part dans une prochaine note.
En outre, nous avons le plaisir de proposer depuis le 10 janvier une exploration des langues d’une durée de cinq semaines, destinée aux élèves de CM2, afin de les accompagner dans leur choix d’une langue vivante étrangère pour l’entrée en 6ème. Chaque classe de CM2 reçoit, en effet, une heure de cours dans l’une des cinq langues enseignées dans le secondaire. L’approche ludique et interactive suscite l’adhésion, l’enthousiasme des élèves et le plaisir d’apprendre.
About the Author :
Caroline Roquain a grandi en France. Après avoir obtenu un master d’espagnol à l’Université du Mans en 2008 (avec une spécialisation en littérature du Siècle d’or espagnol), elle a travaillé deux ans en tant qu’assistante de français à l’Universidad de Santiago de Compostela. Elle est ensuite rentrée en France, où elle a obtenu son agrégation et enseigné l’espagnol pendant sept ans dans trois lycées différents. Caroline aime faire participer ses élèves, développer leur créativité à travers la musique, le théâtre et d’autres activités, et les encourager à se perfectionner.