Lorsque la pandémie a frappé aux portes, nous avons fermé celles du Lycée pour nous plonger dans une aventure nouvelle et passionnante : celle de l’enseignement en ligne. Grâce aux efforts combinés de tous les membres de la communauté, nous avons pu assurer la continuité de notre enseignement. Une question restait cependant dans l’air : qu’allait devenir la partie expérimentale de notre matière ? Sans accès à nos laboratoires, comment pourrions-nous maintenir cette composante essentielle de l’enseignement ?
La réponse se trouvait déjà entre les mains de nos élèves : le smartphone et la tablette. D’après un article publié par NPR publié le 31 octobre 2019, 84% des adolescents en possèdent un. Dans notre communauté, l’accès à un smartphone ou une tablette frôle voire égale les 100%.
Dans le ventre de ces petites merveilles de technologie, se trouve une multitude d’outils que nous utilisons régulièrement en laboratoire : baromètre, accéléromètre, microphone, haut-parleur, appareil photo, écran lumineux, gyroscope, magnétomètre. Il ne manquait plus que quelques développeurs adroits pour nous livrer leurs secrets et nous permettre de comprendre le monde qui nous entoure. Depuis maintenant quelques années, des applications permettent de mettre la technologie qui abonde dans nos équipements au service de la pédagogie. Comme le dit l’American Physical Society dans un article publié le 27 avril 2020, “Smartphone Physics [is] on the Rise”.
Nous allons voir dans cet article quelques défis relevés par les membres du club de physique lors de leur dernière séance en ligne. Plongeons-nous donc tout d’abord avec Roman, Maxime, Thaddée, Eliott, Félix et Laurenzo dans le monde de l’expérimentation à la maison.
Ils avaient à leur disposition le matériel suivant : un coussin + une corde (assez longue) + un ziploc bag (le plus grand possible) + un mètre ruban + un smartphone avec l’application phyphox installée. Phyphox (physical phone experiments) est une application gratuite developpée par RWTH Aachen University qui permet d’utiliser les capteurs présents dans votre téléphone en permettant un contrôle à distance depuis votre ordinateur mais aussi d’exporter les données pour les traiter avec votre logiciel ou votre langage de programmation préféré.
La première expérience que nous avons mené consistait à mesurer g, l’intensité de la pesanteur. Les élèves ont identifié deux méthodes pour trouver la valeur de g. La première méthode consiste à utiliser l’accéléromètre pour mesurer la durée de la chute du téléphone lâché sans vitesse initiale. Après quelques petits calculs, les élèves ont trouvé la formule qui relie la hauteur de chute au temps de chute :
Si on connaît la hauteur initiale du téléphone et la durée de la chute, on peut donc calculer g. Il ne reste plus qu’à faire attention à bien mettre un coussin pour amortir la chute du téléphone. Voici les résultats qui ont été obtenus :
En comparaison avec la valeur de référence (9.8 m/s²), on peut dire que la méthode est plutôt convaincante.
Inspirés par leur bac blanc, les élèves ont proposé une autre méthode. En attachant leur smartphone au bout d’une longue corde et en le lâchant, sans vitesse initiale, avec un petit angle (environ 10°) par rapport à la verticale, le téléphone va se mettre à osciller régulièrement. La durée d’un aller-retour, aussi appelée période, nous permet de calculer la valeur de g.
Si vous essayez à la maison, pensez juste, en plus des conseils donnés dans la vidéo ci-dessus, à bien compter comme longueur la distance entre vos doigts et le centre du téléphone.
L’excellente précision du résultat peut surprendre. La seule approche scientifiquement correcte serait de refaire l’expérience un nombre de fois suffisant pour pouvoir faire une étude statistique.
Armés de notre mesure de g, nous nous sommes lancés le défi suivant : comment transformer notre smartphone en balance ? Félix fut le premier à nous mettre sur la piste : comme le smartphone possède un capteur de pression auquel phyphox peut accéder, il suffisait de se souvenir que :
et
En combinant les deux équations et en isolant la masse, on trouve que :
C’est là que le ziploc bag intervient. En insérant le smartphone dans ce dernier puis en le gonflant et en le scellant hermétiquement, on se retrouve avec un volume de gaz constant sur lequel on peut déposer des objets, ce qui induira une variation de pression. Pour avoir une surface de contact facile à calculer, l’un d’entre nous a utilisé un livre ayant une surface de 0.015 m², sur lequel il a déposé un objet de 51g .
La masse mesurée est donc : (102587 – 102555)*0.015/9.8 = 0.049 kg = 49g. Encore une fois, seule une répétition de la mesure conduira à des résultats scientifiquement acceptables, mais les résultats illustrent bien la viabilité de la méthode.
Nous quittons maintenant le club physique pour apprendre à transformer un smartphone en microscope. La manipulation est plutôt simple. Après vous être assuré de pouvoir accéder à l’écran de votre téléphone et aux contrôles nécessaires, mettez le à plat et déposez la plus petite goutte d’eau possible sur l’objectif. De par sa forme, elle agira alors comme une lentille convergente et pourra être utilisée comme une loupe. À vous les gros plans.
En taille réelle, le chiffre 8 a une hauteur de 3 mm et l’écran de l’iPhone une largeur de 69 mm. A l’aide du logiciel imageJ nous avons mesuré que la largeur de l’écran sur la photo ci-contre était de 811 pixel et la hauteur du chiffre 8 de 601 pixels, ce qui correspond à une taille sur l’écran de 51 mm (17 fois plus grand). Une expérience intéressante à faire à la maison est de faire varier la taille de la goutte et de voir l’influence de sa courbure sur l’image obtenue.
On peut conclure que cet outil a le potentiel de créer une vraie révolution en se mettant au service des sciences expérimentales. Remplacera-t-il entièrement le besoin d’un laboratoire ? Non. Cependant, il permet d’ouvrir les sciences expérimentales au grand public et de démystifier l’expérimentation en sciences physiques tout en la rendant plus interactive et ludique. De plus, l’élève mène une démarche que je n’hésiterais pas à qualifier de plus scientifique que lorsqu’il utilise les outils plus spécialisés qu’on trouve dans nos laboratoires : l’élève est en contrôle complet de son expérience qu’il construit en alliant une réflexion théorique à la conception concrète de celle-ci.
Et pour ceux qui se demandent, quoi d’autre ? Nous avons par exemple mesuré la vitesse du son, étudié le profil spectral de sources lumineuses et tout cela avec un objet que vous avez probablement en main plusieurs fois par jour. N’hésitez pas à nous contacter pour un tour complet des expériences menées à l’aide d’un smartphone au Lycée Français de New York.
Et pour les auto-didactes, voici deux sites très intéressants pour relever des défis avec vos enfants :
https://opentp.fr/smart/
http://hebergement.u-psud.fr/supraconductivite/smartphone-physics-challenge/les-61-methodes/
Bibliographie:
https://physics.aps.org/articles/v13/68
About the Author :
Thomas Serandon, professeur de physique, a fait des études scientifiques en classe préparatoire, avant de se spécialiser en physique (Université Paris 11). Il a obtenu son agrégation de sciences physiques en 2010, puis un master en Physique des Liquides en 2011. Il a rejoint l’équipe du Lycée en 2014.