Jamie, vous êtes professeure d’anglais mais vous développez aussi depuis trois ans la pleine conscience au sein du Lycée, en proposant aux élèves de courtes sessions avec leurs camarades. J’aimerais vous poser cinq questions très simples pour que ceux qui ne sont pas très au fait de cette méthode puissent y voir un peu plus clair.
Q: La pleine conscience est-elle différente de la méditation ? Qu’espérons-nous que les élèves retirent de cette activité ?
La pleine conscience se distingue de la méditation par son intention. Il s’agit d’une pratique d’attention ; elle constitue par conséquent une fin en soi. L’objectif est d’accorder à l’esprit quelques minutes de repos, de réduire l’impact des niveaux de stress toxiques sur les élèves, les enseignants et les parents et, en conséquence d’aider les élèves à réguler leurs émotions, à se recentrer, et à développer leur empathie. Pour y arriver, nous réduisons les stimuli – les entrées et sorties neurologiques – pendant quelques minutes chaque jour. Nombre d’entre nous s’engagent dans différentes activités en pleine conscience, qu’il s’agisse de courir, de faire la cuisine, ou d’écouter. Mais le faire sciemment renforce notre capacité exécutive et améliore la relation avec nos systèmes de régulation internes. Nous pouvons y parvenir en concentrant volontairement notre attention pendant quelques minutes. La pleine conscience trouve ses racines dans la pratique contemplative mais, étant donné que ses bienfaits neurologiques pour les applications psychologiques et sociologiques ont été prouvés scientifiquement, elle est aujourd’hui très ancrée. Elle favorise la conscience et l’acceptation de soi, et rehausse notre acuité mentale. Nombre de pratiques de pleine conscience insistent sur l’écoute, la respiration ou la pensée positive intentionnelle. Elle est à la fois simple et délicate, d’où l’intérêt d’un léger accompagnement.
Q: L’école est un endroit fait pour réfléchir : en quoi la pleine conscience, qui demande à lâcher prise, aide les élèves à mieux apprendre ?
Il est impossible d’arrêter le flux de ses pensées : selon certains chercheurs, nous enregistrons environ 70 000 pensées par jour. En outre, dans nos vies extra-scolaires, notre attention est sollicitée en permanence. Nous prenons cent fois plus de micro-décisions par jour qu’avant l’irruption des smartphones et des applications. Souvent, en matière de communication digitale, nous agissons de manière impulsive et sommes presque toujours investis dans une transaction. L’attention est semblable à un muscle. Elle peut être formée. Elle peut s’étioler ou se renforcer avec l’entraînement. Comme l’adolescence est une période de croissance neurologique très intense, elle est le moment idéal pour armer les élèves des outils dont ils ont besoin pour prendre des décisions raisonnées en se concentrant. Ils passent par un processus dit d’élagage, les compétences utilisées développent alors certains chemins neurologiques qui durent ensuite des années jusqu’à l’âge adulte.
Des études portant sur des échantillons de plus en plus importants confirment une augmentation de l’acuité mentale, une baisse des conflits en classe, ainsi qu’une diminution des schémas émotionnels négatifs associés à l’anxiété. Par conséquent, la pratique de la pleine conscience est un complément logique à n’importe quel programme d’apprentissage social et émotionnel. Apprendre à réguler notre bien-être intérieur nous permet de mieux prendre soin d’autrui et communiquer avec le monde qui nous entoure dans un esprit constructif, propice à la résolution des problèmes.
Q: Si vous êtes angoissé, ou stressé, un exercice de trois minutes de pleine conscience n’est-il pas un simple moyen de décaler stress et préoccupations, qui reviendront dans tous les cas ?
Très bonne question ! La pleine conscience ne vise pas à installer un barrage sur une rivière, il s’agit plus de choisir une station de radio calme et propice à l’attention. Nous sommes conçus pour être actifs mentalement, et tenter d’interrompre notre flux de pensées peut se révéler contreproductif. C’est comme explorer un paysage avec une lampe torche. Tout ce que nous faisons, c’est observer et attirer l’attention sur un point focal, sans jugement. Pour ceux que l’urgence ou la productivité obsèdent, je recommande la pratique avec un carnet à proximité – c’est ce que je fais – au cas où quelque chose d’urgent surgit. La pleine conscience n’est jamais productive si elle est ressentie comme un piège ou une cage, mais pour qu’elle fonctionne, elle doit être un temps d’observation non interrompu et non dérangé, ce et qui requiert une certaine forme d’immobilité. Il peut être utile de se rappeler qu’il n’y pas de bonne ou mauvaise manière de faire. Nous observons simplement ce qui se passe en nous, sur le moment. Nous travaillons à partir de ce qui survient, sans jugement. Si ce qui survient est un sentiment d’urgence, alors nous devons nous autoriser à nous pencher dessus. Et à mesure que nous améliorons la pratique, nous gérons mieux les vagues extérieures qui surgissent également autour de nous, et nous les négocions avec calme et habileté.
Q: Les élèves peuvent-ils pratiquer la pleine conscience par eux-mêmes, en dehors de l’école ?
Absolument. Elle peut les aider à affûter leur instrument d’apprentissage avant de s’attaquer à leurs devoirs, ou en guise de pause entre plusieurs tâches. Certains élèves l’ont enseignée à leurs familles, d’autres à des camarades de Lycée ou d’université. La pleine conscience reste toutefois une structure, pas un pansement. Il faut la pratiquer plusieurs semaines si nous voulons qu’elle ait un effet constructif sur la gestion du stress.
Q: N’importe quel enseignant peut-il mener une activité de pleine conscience ?
N’importe quel enseignant peut en effet apprendre la pleine conscience, mais celle-ci requiert une certaine maîtrise et de l’entraînement. L’acquisition d’une certaine expérience est recommandée avant de pouvoir aider les élèves à négocier ce qui surgit. En outre, il est extrêmement important que celle-ci ne devienne pas un outil disciplinaire. Nombre de ressources existent pour la formation et le développement. Les enseignants peuvent solliciter une visite d’un membre du personnel pédagogique ou d’un des élèves ambassadeurs. Des ateliers sont proposés par NYSAIS, le Garrison Institute, Mindful Schools ou Bank Street. Le CDI propose également de nombreuses ressources, de même que le site Web Mindful Schools. Dimension essentielle, la pleine conscience est proposée de manière non hiérarchique : il s’agit d’une transmission d’individu à individu. Et nous sommes très heureux de répondre à toutes les questions.
Dans la continuité de notre offre Morning Mindfulness de l’année dernière, nous proposons un Open Mindfulness Lab à partir du mercredi 18 octobre, puis tous les mercredis qui suivent de 16 h à 16 h 30 en salle S207B, avec des animateurs qui changent à chaque fois. Vous êtes tous les bienvenus, quelle que soit votre expérience. Plusieurs enseignants et élèves en dernière année se sont réunis pour constituer un groupe de travail, qui va se rencontrer régulièrement afin de discuter des pratiques, des questionnements et de la mise en œuvre. Je suis pour ma part très heureuse de continuer à soutenir l’utilisation de la pleine conscience en tant que support d’apprentissage et de bien-être social et émotionnel.
About the Author :
Jamie Laurens a rejoint le Lycée en 2007. Originaire de la région des Rocky Mountains, elle a commencé à travailler sur la question du bien-être des élèves en tant qu’étudiante à Carnegie Mellon University à Pittsburgh en Pennsylvanie, puis à Avignon en France, où elle a choisi de poursuivre une carrière dans l’éducation. Elle a commencé à enseigner à l’Idyllwild Arts Academy et à la Westridge School avant de venir au Lycée, où elle a enseigné l’anglais au niveau collège et lycée. Elle a aussi co-développé les programmes d’advisory et d’entreprenariat social. Jamie aime écrire, particulièrement de la poésie, et passer du temps en plein air.