En commençant par les élèves de sixième de cette année, le collège du Lycée Français de New York adapte progressivement un modèle d’évaluation basé sur les compétences à la place des notes traditionnelles. Inspirés par le système français, quatre enseignants nous expliquent pourquoi l’école adopte cette approche.
Les enseignants du collège rapportent souvent ce scénario : un élève écrit un devoir, passe un test de mathématiques ou réalise un projet. Son enseignant note son travail et le lui rend. L’élève regarde la note inscrite au recto, réagit avec joie ou consternation, et continue sa journée. La plupart du temps, ils ne regardent pas la copie une seconde fois, ni même la deuxième page. Et les commentaires de l’enseignant ne sont pas lus.
Cette observation, qui se répète année après année, nous a incité à poser deux questions pédagogiques fondamentales :
- Comment mesurer au mieux les capacités d’un élève à un moment donné, ou au fil du temps ?
- Et comment communiquer cette information à l’élève d’une manière qui soit significative, motivante et adaptée à son développement ?
Nous savons que le cerveau d’un jeune adolescent est à la fois impulsif et à la recherche de récompenses. Lorsqu’on fournit à un élève deux séries d’informations – une valeur numérique ou une note, et une série détaillée de commentaires écrits – le cerveau de l’adolescent se tournera vers l’information la plus facile à interpréter. Le travail qui est noté et rendu devient une fin en soi, plutôt qu’une opportunité d’apprentissage et d’amélioration.
Améliorer notre concentration sur l’apprentissage
En 2018, la professeure d’anglais du secondaire Elizabeth Hollow a reçu une bourse de recherche estivale du Lycée explorant l’impact des notes sur l’apprentissage des élèves en sixième. Elle a examiné les pratiques à travers les écoles primaires et secondaires pour proposer une reconsidération de la façon dont nous abordons l’évaluation des élèves. Ses recherches, ainsi que celles menées par ses collègues du collège, ont confirmé ce que de nombreuses écoles en France et aux Etats-Unis ont constaté : évaluer correctement l’apprentissage des élèves est un processus complexe. Pour être efficace, il faut une approche plus authentique et plus spécifique de la façon dont nous discutons des progrès.
L’un des moyens d’y parvenir est de se concentrer sur l’acquisition et le développement des compétences. Ce changement vise à articuler clairement l’objectif de chaque matière enseignée en classe, fournissant ainsi une feuille de route claire aux élèves et aux parents pour se concentrer sur la croissance. En fin de compte, ces changements visent à mieux soutenir la transition du Primaire au Secondaire, et à améliorer notre concentration sur l’apprentissage.
Nous avons demandé à quatre enseignants du Secondaire qui apportent une expérience pratique et de recherche ce que cela signifie pour les collégiens du Lycée.
- Mathieu Cladidier, professeur de français et coordinateur du département
- Elizabeth Hollow, professeur d’anglais
- Jennifer Jacquet, professeur de mathématiques
- Emmanuel Lavalette, professeur des sciences
Qu’est-ce que l’évaluation par compétences, et comment s’intègre-t-elle dans l’approche pédagogique globale du collège du Lycée ?
Elizabeth Hollow: L’évaluation par compétences est une méthode permettant de mesurer et de communiquer les progrès des élèves vers un ensemble spécifique de compétences jugées essentielles dans une matière. Plutôt que de s’appuyer sur une note chiffrée unique ou une moyenne pour résumer l’apprentissage de l’élève, les enseignants qui utilisent l’évaluation basée sur les compétences recueillent et enregistrent des informations au fil du temps et à travers une variété de tâches. Cela les aide à déterminer les compétences et les connaissances qu’un enfant a effectivement maîtrisées, et celles qui doivent encore être améliorées. Chaque tâche ou projet assigné aux élèves est clairement lié aux compétences évaluées, et les élèves reçoivent un retour constant tout au long du processus d’apprentissage, ce qui clarifie exactement ce que l’on attend d’eux et comment progresser.
Cette méthode s’inscrit parfaitement dans l’approche pédagogique plus large du Lycée au niveau du collège, qui vise non seulement à assurer une transition scolaire en douceur entre le primaire et le secondaire, mais aussi à offrir une expérience éducative authentique, exploratoire et adaptée au développement de la première adolescence.
Est-ce quelque chose de nouveau pour les écoles ? De quelle expérience d’autres écoles pouvons-nous nous inspirer ?
Mathieu Cladidier: L’évaluation par compétences n’est pas nouvelle. Depuis la loi de 2005, ce type d’évaluation fait partie des pratiques pédagogiques en France. Pour ma part, j’ai eu l’expérience de ce type d’évaluation lorsque je travaillais à l’École Bilingue de Berkeley,CA, entre 2012-2016. Nous avions décidé de nous engager dans ce processus afin de réduire le stress de nos élèves face à la note, mais aussi de valoriser les apprentissages. Pour moi, l’expérience que j’en ai eu était que ce type d’évaluation permettait d’apprendre, d’évoluer et pas uniquement d’être évalué. Ce type d’évaluation est un véritable accompagnement de l’apprentissage et de l’apprenant, Il permet aux élèves une meilleure compréhension des attentes et des moyens de progresser, car elle offre une visibilité pour les élèves, les professeurs et les parents.
Comment le Lycée s’est-il préparé à ce changement ?
EH: À partir de septembre 2020, Adena Dershowitz, notre responsable du collège, et quatre enseignants de sixième année des départements de sciences, de mathématiques, d’anglais et de français se sont réunis au moins une fois par cycle, dans le but d’explorer les meilleures pratiques d’évaluation par compétences et d’élaborer un plan pour intégrer ce modèle en sixième année à partir de 2021.
Dans ce cadre, nous avons assisté à de multiples sessions de formation avec un consultant expert de Marzano Research, un leader éducatif dans l’enseignement et l’évaluation par compétences. Nous avons également travaillé en étroite collaboration avec l’équipe enseignante de la sixième année et les chefs de département, qui nous ont aidés à identifier les compétences ou les normes les plus essentielles pour chaque matière, et à concevoir des échelles de compétences détaillées pour aider à communiquer ces normes aux élèves et à leurs familles.
Comment maintenir la rigueur académique dans une approche de l’évaluation des élèves basée sur les compétences ?
MC: L’exigence académique est maintenue dans la mesure où le contenu des cours et du programme ne changent pas. Au contraire, l’évaluation par compétences permet de mieux faire comprendre aux élèves les attentes et par là même de mieux les impliquer dans les apprentissages. Ainsi, la rigueur académique est non seulement maintenue mais mieux comprise par les apprenants.
Emmanuel Lavallette: De plus, les sujets des épreuves des examens français (brevet et baccalauréat) sont conçus en se basant sur les compétences des programmes officiels. Ainsi une approche par compétence des évaluations dès la classe de 6ème permet de préparer au mieux les élèves à ces épreuves.
Comment le travail des élèves, y compris les devoirs, les tests et les travaux, est-il noté dans ce modèle ?
Jennifer Jacquet: Dans une classe où l’évaluation se fait par compétences, les apprentissages ne sont plus linéaires, mais font partie d’un processus d’acquisition de connaissances et de capacités tout au long de l’année. Il n’est plus question d’être évalué, d’être noté, puis de passer à la notion suivante : si une compétence n’est pas acquise ou mal maîtrisée, les élèves ont la possibilité de la retravailler, de l’acquérir ou de la renforcer plus tard dans l’année ou dans leur scolarité.
Pour l’évaluation par compétences, les professeurs ont établi des référentiels comportant les compétences qu’ils souhaitent faire acquérir à leurs élèves. Celles-ci sont piochées dans les programmes officiels ainsi que dans le socle commun de connaissances, de compétences du cycle 3 (CM1 et CM2).
Les compétences seront communiquées aux élèves et aux parents durant la séquence travaillée. Elles peuvent figurer sur les documents de travail au fur et à mesure des séances, ou encore être présentées en début de chapitre. Ainsi quelle que soit l’activité, les élèves pourront toujours la relier à l’acquisition de compétences.
Chaque devoir, évaluation ou travail fait par l’élève sera préalablement préparé et l’élève saura sur quelle(s) compéténce(s) cela portera. Un système d’évaluation à 4 niveaux – non acquis, en cours d’acquisition, en bonne voie, acquis – sera établi, apparaîtra sur le travail de l’élève et lui permettra ainsi de savoir où il se situe dans ses apprentissages.
Quelles classes du Lycée passeront à l’évaluation basée sur les compétences, et comment prévoyez-vous de l’introduire progressivement ?
EL: Nous avons commencé à la rentrée scolaire (2021-2022) par la classe de 6ème sur laquelle nous avons travaillé depuis l’an dernier. Puis, en utilisant progressivement ce travail et les ressources crées et avec les équipes pédagogiques de chaque département, nous monterons dans les niveaux supérieurs du collège pour enchainer avec la classe de 5ème à la rentrée 2022, puis la classe de 4ème à la rentrée 2023.
About the Author :
Originaire de Scranton, Pennsylvania, Adena Dershowitz est Head of Middle School. Elle a commencé à travailler au Lycée en tant qu’intégratrice technologique en 2012 et à pris le poste de directrice des technologies d’apprentissages en 2014, et puis Director of Curriculum Development in 2018. Adena est titulaire d’un Master en éducation et technologie de la Harvard Graduate School of Education ainsi que d’un Bachelor de l’University of Maryland. Avant de rejoindre le Lycée, elle a travaillé pour des programmes extra-scolaires dans lesquels elle utilisait la technologie pour favoriser l’aprentissage. Pendant son temps libre, elle aime voyager, faire des activités en plein-air et des travaux manuels.