“Sensibiliser au plurilinguisme, c’est élargir son horizon culturel”

 

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“L’acquisition du langage par le biais de deux langues ne diffère pas vraiment de l’acquisition monolingue sinon que les enfants bilingues ont une sensibilité métalinguistique plus développée.”

Pourquoi est-il important de connaitre plusieurs langues?

Il est important de connaître plusieurs langues pour différentes raisons, intellectuelles, affectives et instrumentales. Connaître plusieurs langues permet de comprendre la relativité des cultures, et de se décentrer, soit de voir le monde au travers des yeux d’un autre. Cela permet aussi d’entrer en relation avec des personnes qui ne partagent pas la même langue et de servir d’interprète ou de traducteur, donc d’opérer une médiation culturelle, un rapprochement entre les différentes cultures et donc de mieux appréhender la diversité des modes de vie et de pensée ou encore d’être au monde. Enfin, il est évident que la connaissance de plusieurs langues est un atout professionnel, mais on comprend encore mal la spécificité de l’apprentissage des langues qui demande un investissement important en temps, et une réelle motivation.

L’anglais ne restera pas forcément la langue dominante.

Certes les nombreux modèles d’apprentissage bilingue offrent des avantages indéniables car la langue n’est plus seulement objet d’apprentissage mais aussi moyen d’apprentissage d’autres disciplines scolaires. L’enseignement bilingue en France est offert dans les écoles publiques dès l’âge de 3 ans et jusqu’au baccalauréat mais seulement en langues régionales. Les programmes dual immersion aux États-Unis sont des programmes très intéressants qui ont déjà fait leur preuve à New York avec l’espagnol et le succès des programmes actuels avec le français montre bien que les parents américains et français ont compris les avantages de l’éducation bilingue pour leurs enfants dès le plus jeune âge.

Il faudrait encourager le développement des programmes dual language immersion dans tous les États-Unis et dans un choix plus large de langues afin de préparer les futurs citoyens américains à être de meilleurs linguistes dans un monde ou l’anglais ne restera pas forcément la langue dominante.

Vous avancez que notre rapport aux langues n’est pas neutre, en particulier en France. Que voulez-vous dire par là?

Je veux dire que les personnes ont une relation spéciale avec leurs langues, que le lien entre langues et identité est très fort, et que pour comprendre ce lien il faut s’intéresser aux contextes dans lesquels les langues sont parlées ainsi qu’à toutes sortes d’autres dimensions : économique, historique, politique, idéologique, etc.

En France par exemple, on a une relation tout à fait spéciale à la langue française qui est perçue comme un objet précieux qu’il faut protéger, qui serait en danger face à l’anglais ou à la façon dont les jeunes l’utilisent dans les sms, les chats et messages électronique. A l’école, la langue française est encore enseignée de façon très traditionnelle (on insiste beaucoup sur la forme) et de nombreux élèves peuvent se sentir en insécurité linguistique ou tout simplement dépossédés de leur langue maternelle.

Quant aux langues étrangères, un large choix de langues est présent dans les programmes et l’enseignement d’une langue vivante étrangère commence à l’âge de 7 ans. La plupart des élèves ou leurs parents choisissent bien évidemment l’anglais mais certaines langues ont de plus en plus de succès comme le chinois par exemple.

Je pense comme d’autres collègues sociolinguistes et sociodidacticiens qu’il faudrait vraiment repenser la question de toutes les langues en présence à l’école dans une approche plus écologique pour que les élèves comprennent mieux le rôle des langues et du multilinguisme dans notre société, et leurs relations identitaires à leurs propres langues et pratiques linguistiques.

Il est courant de penser que les enfants issus de foyers bilingues voire trilingues rencontreront des retards d’apprentissage, qu’ont démontré vos recherches en la matière?

Mes recherches sur le bilinguisme en contexte familial en Irlande ont montré que l’acquisition du langage par le biais de deux langues ne diffère pas vraiment de l’acquisition monolingue sinon que les enfants bilingues ont une sensibilité métalinguistique plus développée du fait qu’ils fonctionnent dans deux langues au lieu d’une, qu’ils savent très jeunes distinguer les deux langues l’une de l’autre mais qu’ils peuvent aussi les mélanger, mais que c’est un phénomène tout à fait normal chez les locuteurs bilingues et qui a bien été étudié par les linguistes.

Les enfants bilingues savent négocier des mondes culturels différents.

Un autre avantage du bilinguisme c’est la connaissance de deux mondes culturels véhiculée par les deux langues et le fait que les enfants bilingues savent négocier des mondes culturels différents, soit passer d’une culture à l’autre en comprenant les similitudes et les différences. Mes travaux n’ont pas montré de retards langagiers, tout comme les travaux de la plupart des chercheurs depuis les années 60.

Par contre il est évident que pour que le bilinguisme se développe l’enfant doit être en contact suffisant avec ses deux langues, d’où l’importance pour les parents de choisir de stratégies pour transmettre la langue qui n’est pas celle de l’environnement.

L’un de vos travaux porte sur la notion d’éveil aux langues (ou Language Awareness en anglais). De quoi s’agit-il?

L’éveil aux langues est une approche de sensibilisation au plurilinguisme, donc à la diversité des langues et des cultures qui se distingue de l’enseignement des langues étrangères par le fait que l’on travaille sur plusieurs langues en même temps en les comparant par exemple ou en faisant découvrir la multiplicité des systèmes d’écriture dans le monde.

Cette approche permet de réfléchir aux langues qui existent dans l’environnement de l’enfant dans sa famille ou dans sa communauté, à l’école et ailleurs dans le monde. Un des objectifs de l’éveil aux langues est de donner aux enfants le goût des langues et des cultures autres donc de travailler la notion d’interculturalité.

Ne plus avoir honte de sa langue.

Un autre objectif est de travailler sur les attitudes envers les langues et de montrer que toutes les langues sont une richesse, quel que soit leur statut dans la société. Il s’agit donc de lutter contre les stéréotypes envers certaines langues et cultures de statut minoré et de s’assurer que les enfants n’ont plus honte de leurs langues à l’école. Cette approche a été développée en Angleterre dans les années 70 et a été pensée comme une matière pont entre la langue de l’école, les LVE et les langues parlées par les élèves en famille. Elle ne vise pas à remplacer l’enseignement des langues étrangères mais à la compléter et à construire à l’école une éducation langagière qui mette au centre les questions de plurilinguisme et de pluralités culturelles.

Read another interview on this blog of Christine Hélot in French and in English about the emotional intelligence of bilinguals.

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